Depuis ce lundi, les députés examinent le projet de loi sur la fin de vie, remanié par les parlementaires. « L’aide active à mourir » suscite beaucoup d’inquiétudes notamment chez les soignants. Reportage à la clinique Saint-Roch de Cambrai, dans la toute première unité privée de soins palliatifs des Hauts-de-France, et l’une des premières en France.
Les soins palliatifs, ça nous faisait peur au début », concèdent Delphine et Séverine. Leur père, Michel, s’est éteint il y a quelques heures dans le service. Entouré, pour ses derniers jours, des femmes de sa vie : son épouse Marie-Thérèse et ses filles. « On a pu rester à ses côtés. On disposait d’un salon dans la chambre. Nous avons dormi auprès de lui. »
Dans l’espace cosy Marie-Louise, dédié aux familles, elles racontent cette vie qui a basculé en quelques semaines. L’état de santé de leur père, un ancien policier de 74 ans, s’est brutalement dégradé le 23 avril suite à une crise d’épilepsie. Il a d’abord été hospitalisé, puis dirigé vers un centre de rééducation où « un médecin nous a aussitôt appelés pour nous dire que c’était très grave ».
Là, elles apprennent que leur père est en fin de vie. Qu’il est transféré dans le service des soins palliatifs de la clinique. Il n’y restera que quelques jours où « tout a été fait pour diminuer sa souffrance. Le Dr De Benedetto, qui a été formidable, a pris le temps de nous expliquer qu’il ne l’euthanasierait pas, mais qu’il soulagerait ses douleurs et ses symptômes ».
Et l’équipe pluridisciplinaire, de l’aide soignante à la psychologue, a veillé, « à pas feutrés », par « des petits gestes, comme un simple café, une écoute », sur leurs âmes en peine. « Ils ont été bienveillants avec nous. Ils nous ont parlé de cœur à cœur. Contrairement à ce qu’on a vécu à l’hôpital, mon père n’était plus un numéro. Et ils ont pris soin de notre maman. »
Soulager la souffrance physique et psychologique est le fondement même de l’unité de soins et d’accompagnement de la clinique Saint-Roch, à Cambrai, depuis son ouverture le 1er janvier 1997. Fondée par le médecin gériatre, Joël Cliche, qui a toujours milité pour prendre en compte la douleur de ses patients et a été un précurseur : « Il n’y avait rien dans le Cambrésis. On a créé la toute première unité de soins palliatifs privée des Hauts-de-France. » Et l’une des premières en France.
Le nombre de lits (12) est toujours resté identique. Le fonctionnement de l’équipe, aussi. « Ce qui a changé, c’est le regard des gens, estime Joël Cliche. Avant, ils pensaient que c’était un mouroir. »
Pourtant, Isabelle, aide-soignante au regard solaire, entend encore ce type de réflexions à l’extérieur. Mais elle ne s’en formalise guère. « Je leur réponds que, nous ici, on travaille avec les vivants. Beaucoup de patients repartent chez eux. Même si c’est pour un mois ou un an… Ils ont envie de continuer à se battre. On leur prodigue des soins actifs. Et quand ils décèdent, c’est dur, mais on sait qu’on les a accompagnés jusqu’au bout, en préservant leur dignité. »
Honorer les envies des patients
En tentant, aussi dans la mesure du possible, d’honorer la liste de leurs envies. Comme satisfaire « l’envie de fraises d’un patient qui avait du mal à déglutir. On les a proposées sous forme de glace », ou d’une portion de frites pour Jocelyne, 80 ans. « Quand cette patiente est arrivée, elle était alitée, sous oxygène », raconte le chef du pôle gériatrie, Giorgio De Benedetto
Aujourd’hui, elle évolue en fauteuil, est redevenue coquette, montrant fièrement sa dernière manucure. Et l’octogénaire nourrit de nouveaux projets. Les mêmes qu’Hervé, 64 ans, ce « vieux loup solitaire », féru de livres policiers amenés par les bénévoles. Tous les deux souhaitent intégrer, à leur sortie, une maison de retraite : « Je ne peux plus rester seul. Il paraît que j’ai un cancer », lance-t-il, sarcastique.
Le chef de service leur rappelle que l’équipe s’occupe de tout : « On est dans une logique de qualité de vie, pas de compter les jours qui restent. On permet aux patients de profiter de leurs proches, sans subir les symptômes désagréables de leur pathologie. On ne peut résumer les soins palliatifs à la phase agonique, où là on apaise la souffrance physique et psychologique par une sédation profonde et continue. »
Giorgio De Benedetto dirige l’unité et le pôle de gériatrie, à la clinique Saint-Roch de Cambrai. – PHOTO LUDOVIC MAILLARD
À la fin de son internat, le praticien a quitté son pays, l’Italie, « où le système hospitalier était en déliquescence ». Il assiste depuis, impuissant, « au détricotage progressif du système français qui cause un problème d’accès aux soins et aux services comme le nôtre. J’espère que l’aide active à mourir n’a pas été pensée dans ce sens. »
Le pionnier et « toujours capitaine à bord », Joël Cliche, qui préside les cliniques Saint-Roch (Cambrai, Denain et Marchiennes), y est formellement opposé. « À chaque embauche, dans le contrat signé, on précise bien que l’euthanasie est interdite. Les députés parlent de délit d’entrave si on refusait cette aide à mourir du projet de loi. J’assumerai. La loi Claeys-Leonetti (2016) est bien faite. Malheureusement, elle n’est pas assez appliquée en France. »
L’équipe pluridisciplinaire, du chef de service à la socio-esthéticienne, se réunit régulièrement pour échanger sur l’état de santé des patients. – PHOTO LUDOVIC MAILLARD
Fin de vie : la prise en charge palliative, très développée dans la région
La région Hauts-de-France est loin d’être sous-dotée en prise en charge palliative. Bien au contraire, puisque le territoire dispose notamment de 32 unités. La règle établie étant d’une structure par département
Différentes prises en charge palliatives sont possibles : des équipes mobiles aux services d’hospitalisation ou à domicile. – PHOTO LUDOVIC MAILLARD
L’Agence régionale de santé (ARS), comme le fondateur de la toute première unité privée de soins palliatifs dans les Hauts-de-France, Joël Cliche, le confirme : « Le territoire est très bien doté en équipements dans la prise en charge palliative. » Et le président des cliniques Saint-Roch de Cambrai, Denain et Marchiennes a son explication : « À l’époque, le rapporteur sur la question des soins palliatifs était un Dunkerquois, le Dr Henri Delbecque. Il était chargé de mission par le ministre sur cette question en France. Avec l’Agence régionale de l’hospitalisation de l’époque, il a pu donner l’impulsion d’une vraie dynamique chez nous. »
Dans la prise en charge palliative, il existe trois niveaux de gradation, selon l’ARS. Trente-deux équipes mobiles (14 dans le Nord, 8 dans le Pas-de-Calais) interviennent là où se trouve le patient, à l’hôpital, en EHPAD, dans des établissements accueillant des personnes en situation de handicap.
Deux autres sont exclusivement dédiées à la pédiatrie (enfants et adolescents).
Près de 500 lits dédiés
On compte également dans la région près de 500 lits dédiés à la prise en charge palliative, répartis dans 79 hôpitaux, dont 29 dans le Nord, et 17 pour le Pas-de-Calais.
Le territoire dispose de 32 unités de soins palliatifs. Ces services d’hospitalisation sont exclusivement voués à cet accompagnement spécifique : il y en a 16 dans le Nord, 9 dans le Pas-de-Calais. Une dixième unité ouvrira en fin d’année dans le bassin minier. Chacune de ces structures compte entre 8 à 12 lits. Les soins palliatifs proposent une approche globale du patient malade, mais également de ses proches afin d’améliorer la qualité de vie
Il existe également les établissements d’hospitalisation à domicile : ils sont 30 dans la région, soit 11 publics et 19 privés (associatifs ou pas), comme le précise Dr Claude Courouble, président de Santé services hospitalisation à domicile, à Lens et environs. Par exemple, « le service d’HAD de la région de Lens prend en charge chaque jour plus de 200 patients à domicile, en alternative à une hospitalisation.
Un tiers relève des soins palliatifs et nous les accompagnons dans leur fin de vie, entourés de leur famille, avec du personnel médical et soignant spécialisé, en collaboration notamment avec les services de soins palliatifs, les médecins traitants… »